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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/71

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Cet homme était français et jeune. En l’écoutant bien, vous l’auriez entendu murmurer :

— Qu’il me tarde de savoir ce qu’elle est devenue ?… Ces barbares l’ont-ils respectée ? Est-elle morte ou vit-elle encore dans un état pire cent fois que la mort ?… Horrible incertitude, quand donc cesseras-tu de déchirer mon cœur ?…

Ces paroles, lectrice timorée, qui frissonnez de peur au seul nom de fantôme, vous doivent rassurer tout à fait. Elles vous disent clairement que le personnage mystérieux de la grotte est un jeune amoureux qui soupire après l’objet de ses vœux absent. Rien de moins surnaturel, et c’est, je pense, un titre à ce que vous vous rapprochiez de lui avec toute la sympathie qu’il mérite.

D’ailleurs, madame, l’air est froid au dehors, et franchement, pas plus que vous je n’aime à voir cette longue et funèbre rangée de morts se découper sinistrement sur le ciel blafard, du haut de ces échafauds dont les longs pieds grêles se dressent eux-mêmes au-dessus du sol comme autant de spectres menaçants.

Nous entrons donc.

Votre pied, si léger qu’il soit, belle dame, vient de froisser une branchette. Ce bruit presque imperceptible éveille l’attention du jeune homme qui n’est pas — veuillez bien lui pardonner cette faiblesse, — tellement absorbé dans ses tristes pensées, qu’il puisse oublier le dangereux voisinage de l’endroit où il se trouve.

Son visage inquiet se tourne de notre côté. Mais il n’aurait garde de nous voir. Comme il craint une surprise, il se saisit de son mousquet et accourt à l’entrée de la grotte.

Nous nous effaçons pour le laisser passer. Il se penche en dehors et scrute du regard les abords de la caverne.

Il se convainc bientôt qu’il est en sûreté, puisqu’il retourne prendre sa place et sa position d’amoureux en peine.

N’importe, nous avons eu le temps d’apercevoir ses traits, et c’est à peine si nous avons pu retenir un cri de surprise en reconnaissant notre jeune ami Louis Jolliet.

On se rappelle la profonde affliction du jeune homme lors de l’enlèvement de Mlle de Richecourt, à la Pointe-à-Lacaille, par Griffe-d’Ours et sa bande. Il aurait voulu courir immédiatement sus aux ravisseurs. Mais la prudence de Joncas et les larmes de sa mère l’avaient forcé de dévorer dans l’inaction les désespoirs qui déchiraient son cœur.

Le coup était trop soudain et trop fort pour le pauvre garçon qui était aussitôt tombé dans un état de marasme effrayant.

À la vue de la grande douleur du jeune homme, Joncas, plus ému qu’il ne le voulait faire paraître, lui dit :

« — Écoutez, monsieur Louis, soyez raisonnable. C’est impossible aujourd’hui de poursuivre les Iroquois. Nous serions forcés de laisser votre mère et ma femme seules ici et sans protection, exposées aux violences d’autres faillis chiens d’Iroquois.

« Dans une journée ou deux nous aurons fini la moisson. Nous en chargerons notre chaloupe et le grand bateau que j’ai bâti, l’hiver dernier, tout exprès pour emporter notre grain à Québec.

« Tandis que vous remonterez le fleuve avec ces embarcations, le Renard-Noir et moi explorerons, au moyen du canot d’écorce, la grève et les îles où nous trouverons probablement quelques traces du passage des Iroquois. Pendant ce temps vous resterez au milieu du fleuve avec madame et ma femme afin de les protéger en cas d’attaque.

« Une fois arrivés à la ville nous les y laisserons en sûreté pour aller ensuite avec vous sauver mademoiselle et les autres. Il en sera temps encore, car les Sauvages vont certainement emmener avec eux, dans leur pays, mademoiselle Jeanne, monsieur de Mornac et ce baron de Vilarme dont la figure, entre nous, ne me plaît pas beaucoup. Il n’y a que ce pauvre Jean Couture dont j’ai grand-peur qu’ils ne se défassent immédiatement, vu qu’ils n’ont pas d’intérêt à le garder vivant comme Mlle Jeanne et les deux messieurs, que leur position rend précieux comme otages. Vous savez comme moi qu’il arrive assez rarement que les Sauvages tuent tout de suite les personnes de distinction qu’ils ont pu prendre en vie et capables de les suivre. Ils préfèrent les garder dans leurs villages pour les échanger contre les prisonniers que nous leur faisons aussi quelquefois. »

— Mais mademoiselle de Richecourt ?

— Soyez tranquille à son égard. Tant qu’il restera un souffle de vie à ce jeune gentilhomme qui est son cousin, elle n’aura rien à craindre. Il m’a l’air assez déterminé pour tenir tous ces bandits à distance.

Jolliet secoua tristement la tête en montrant combien il était peu convaincu par ce raisonnement spécieux dont le bon Joncas s’efforçait de le consoler.

Il fallait pourtant bien se rendre ; et la main tremblante de sa mère, qui vint s’appuyer sur son épaule fit taire les élans de la passion que Jolliet sentait bondir en lui.

— Tu l’aimes bien plus que moi ! lui dit Mme Guillot dont les yeux pleins de larmes se fixèrent sur les traits décomposés de son fils.

Celui-ci ne put répondre, et, pour cacher ses larmes se jeta dans les bras de sa mère.

Deux jours plus tard, deux embarcations, les voiles déployées, sortaient de la rivière à Lacaille. Jolliet conduisait le bateau. La chaloupe était dirigée par la femme de Joncas et Mme Guillot.

Quant à Joncas et au Renard-Noir, ils venaient de s’enfoncer dans le bois, à l’endroit où les Iroquois et les captifs avaient disparu, deux jours auparavant.

Les deux embarcations doublaient la Pointe-à-Lacaille, lorsqu’un cri partit du rivage et attira l’attention de Louis Jolliet.

Il aperçut ses deux amis qui lui faisaient signe de les aller chercher sur la rive.

Les ancres furent jetées au fond de l’eau, et Jolliet se rendit à terre sur le canot d’écorce du Renard-Noir.

— C’est ici qu’ils se sont embarqués, lui dit Joncas. Voyez-vous leurs pistes dans le sable. Ils sont partis trop à la hâte pour les effacer.

Jolliet se baissa vers le sol et reconnut, entre