Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/73

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— Oui, tout de suite, répliqua Joncas. Pour que vous soyez pris et massacré par les Iroquois ou mangé par les bêtes sauvages. C’est un malheur que ce retard, mais enfin nous ne pouvons vous écouter. Nous allons vous soigner et quand vous serez en état de nous suivre nous continuerons nos recherches. En attendant éloignons-nous de ce sentier et cherchons un abri quelque part.

Je laisse au lecteur le soin de compter les larmes que Jolliet dut répandre et les soupirs qu’il poussa pendant les trois semaines qu’il lui fallut rester dans l’inaction la plus complète.

Enfin, grâce aux compresses d’herbes et de plantes sauvages, et encore plus, je crois, au soin que prit Joncas de ne point laisser le jeune homme tenter de faire un seul pas avant le temps voulu, les trois compagnons se remirent en marche au bout de vingt-deux jours.

Pour ne point fatiguer Louis Jolliet et aussi de crainte de tomber inopinément sur quelque parti d’Iroquois à mesure qu’ils approchaient du pays de ces derniers, les trois amis n’avancèrent plus dès lors que très lentement. Ils mirent près de deux semaines à franchir le court espace qui les séparait de la grande bourgade d’Agnier près de laquelle ils rôdèrent durant plusieurs journées avant de s’assurer que les captifs y étaient détenus.

Une fois certains que c’était sur ce point que devaient se concentrer leurs opérations, le Renard-Noir conduisit Joncas et Jolliet dans la caverne où nous avons retrouvé le pauvre amoureux.

Le chef huron connaissait cette grotte dans laquelle il avait trouvé un refuge assuré à chacune de ces sanglantes expéditions qu’il avait faites tous les ans dans les cantons iroquois, depuis la mort de Fleur-d’Étoile.

Ce fut là qu’ils développèrent leur plan et s’en partagèrent les moyens d’exécution.

Le matin du soir où nous avons quitté Mornac encore une fois miraculeusement sauvé de la mort, pour retrouver Jolliet, Joncas était parti afin d’aller faire quelques achats indispensables au fort d’Orange qui n’était distant que de quelques lieues du grand village d’Agnier.

Quant au chef huron, il devait en ce moment rôder non loin du village, puisqu’il y avait plus de deux heures qu’il avait quitté la caverne quand nous y avons pénétré.

Jolliet était donc là, seul avec ses pensées, seul avec ses craintes, seul avec son amour ignoré.

Il songeait, d’abord aux dangers sans nombre que Jeanne devait courir ; à la sauvage violence de Griffe-d’Ours ; aux desseins pervers qu’il avait cru deviner depuis longtemps sous le masque de Vilarme.

Avait-elle pu éviter leurs pièges… ?

Puis il pensait à Mornac et son cœur se crispait à la seule idée qu’elle aimait déjà le chevalier.

Et lui-même pourrait-elle l’aimer jamais ?

Oh ! non, sans doute. En supposant qu’elle eût quelque inclination pour lui, pourraient-ils échapper aux Iroquois et regagner Québec au milieu des périls de toutes sortes, et des rigueurs de l’hiver qui allait commencer ?

En face de ces problèmes insolubles le découragement le reprenait avec plus de vigueur que jamais.

Tant qu’il avait été loin de Jeanne et qu’il ne s’était agi que de travailler à la sauver, son courage ne s’était pas démenti. Mais maintenant qu’il la savait vivante (car la veille encore, comme il était caché non loin du village, il l’avait aperçue à distance) maintenant que le moment de l’action était venu et qu’il allait falloir agir, les forces lui manquaient.

Était-ce donc lâcheté de sa part ou simplement faiblesse physique ou morale ?

Non. C’est qu’il lui manquait la foi des amants, qui est la certitude d’être aimé et qui, comme sa sœur en religion, peut transporter des montagnes. Et plus l’instant suprême approchait, et moins il avait la certitude de voir jamais son affection payée de retour.

Au moment où nous l’avons retrouvé, il en était arrivé à cette période d’abattement où à force de raisonnements absurdes avec soi-même, on en vient à se croire encore plus malheureux qu’on ne l’est en réalité.

Pour nous servir d’une expression toute moderne et empruntée au langage des rapins des ateliers parisiens : il broyait du noir.

Il descendait donc rapidement au fond des abîmes du désespoir, lorsqu’un grand bruit souterrain le tira de la torpeur où il était plongé.

Il releva la tête et prêta l’oreille à cette rumeur immense qui semblait venir des entrailles du globe.

Bientôt le sol se prit à trembler sous ses pieds, tandis que le rocher dans lequel était creusé la grotte gémissait en craquant de toutes parts.

Il comprit aussitôt que c’était un tremblement de terre.

Son premier mouvement, celui de l’instinct de la conservation poussa Jolliet à s’élancer hors de la grotte.

Mais un éclair de raisonnement brilla dans son œil et fut suivi d’un sourire amer qui plissa sa lèvre pâle.

— Bah ! à quoi bon fuir la mort ! se dit-il. Si elle veut de moi, elle saura me trouver tout aussi bien au dehors que dans les flancs de ce rocher !

Il se rassit au milieu du vacarme épouvantable de la montagne en démence.

Au-dessus de sa tête, les rochers secoués rudement se heurtaient l’un contre l’autre et claquaient comme les dents d’un homme empoigné par la frayeur.

Autour de lui, de toutes parts, retentissait l’effroyable grondement des larges pans de roc qui se frottaient l’un sur l’autre et mugissaient comme les meules énormes de quelque moulin de géants.

Ce fracas qui semblait répondre au trouble de son cœur, enivra Jolliet. Le front haut, l’œil hardi et la bouche fière, il restait impassible, lui, être impuissant et faible, au centre de ces gigantesques bouleversements.

Un craquement plus sec et rapproché attira pourtant son attention et son œil se leva dans la direction de ce bruit plus distinct.

L’une des parois qui formait, en rejoignant