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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/74

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l’autre, la voûte de la caverne, venait de se fendre en deux et un gros quartier de granit s’en détachait bruyamment et s’affaissait vers le sol, à mi-chemin entre Jolliet et la sortie de la grotte.

— Si j’allais rester enseveli vivant au fond de la caverne ! pensa-t-il. Mort affreuse et inutile pour celle que j’aime !

Il bondit sous le rocher qui glissait, et se retourna à l’entrée de la grotte en regardant derrière lui.

L’énorme pierre s’arrêta dans sa chute et resta suspendue à quatre pieds au-dessus du sol, formant une arche sous laquelle on pouvait encore passer pour aller au fond de la caverne.

Au-dessus, la voûte s’était refermée et si les dernières commotions du sol n’en avaient encore détaché de petits fragments de pierre et des poignées de terre qui ruisselaient jusqu’à ses pieds, Jolliet aurait pu croire qu’il venait d’avoir un terrible cauchemar.

Le tremblement de la terre diminuait, et le fracas s’éloignait aussi.

Ce ne fut bientôt plus qu’un bruissement lointain comme celui du vent qui s’enfuit sur la cime des arbres. Et, plus rien que le silence, mais un silence d’autant plus étrange que le bruit qui l’avait précédé avait été colossal.

Jolliet mit la tête hors de la caverne.

Un calme indicible pesait sur la nature entière qui après cet immense effort paraissait fatiguée, épuisée, évanouie, morte comme ces morts qui dormaient tout auprès sur leurs sarcophages aériens.

Longtemps Jolliet, énervé lui-même demeura immobile en promenant des regards vagues sur la plaine sombre.

À quoi pensait-il ? Nous ne saurions le dire et lui-même l’ignorait sans doute.

Il y avait plus d’une heure qu’il était là, pensif, sans pensées distinctes, lorsqu’il fit un mouvement machinal pour saisir son mousquet.

Il venait d’entendre un bruit.

Sa main ne rencontra que le vide. L’arme était restée au fond de la caverne.

Il n’avait pas le temps de se glisser sous la pierre nouvellement suspendue pour aller chercher son mousquet, et il tira de sa ceinture un long et pesant pistolet ainsi qu’une mèche allumée, tout prêt à faire feu.

Une forme noire se mouvait à quelque distance et se rapprochait de la grotte.

L’inconnu siffla deux fois comme un serpent qui se dresse.

Jolliet baissa son arme.

L’autre le rejoignit. C’était le Renard-Noir.


CHAPITRE XVI.

ruses.

Nous avons quitté le chevalier de Mornac et Jeanne de Richecourt descendant du bûcher où le Gascon avait failli périr, et traversant tous deux la foule stupéfaite.

Ils avaient laissé derrière eux la multitude encore à demi prosternée, et arrivaient près de la cabane de la Perdrix-Blanche, lorsqu’un Sauvage qui s’était jusque-là tenu caché en arrière du ouigouam, à la faveur de l’obscurité, vint à leur rencontre, tout en jetant des regards furtifs autour de lui.

Comme Jeanne surprise faisait un pas en arrière pour éviter quelque soudaine attaque, l’inconnu dit rapidement à voix basse et en français.

— Que la jeune fille blanche et le vaillant jeune homme ne craignent rien ! je suis le Renard-Noir.

— Le Renard-Noir !

— Lui-même. Il est venu pour vous sauver tous les deux. Que le jeune homme me montre son ouigouam afin que j’aille l’y trouver pour y préparer votre fuite. Si le Grand Esprit nous assiste, vous serez libres demain.

— Pourquoi pas tout de suite ? demanda Jeanne avec anxiété.

— La vierge pâle nous perdrait tous par trop de hâte. Il faut attendre. Où est le ouigouam de mon fils ?

— Là, fit Mornac en désignant du doigt sa cabane. D’ailleurs vous n’aurez qu’à me suivre. Après avoir laissé Mlle de Richecourt ici, je m’en vais m’y rendre immédiatement.

— Mon fils est-il seul dans sa cabane ?

— Non, je l’habite avec une vieille et bonne femme qui m’a sauvé une première fois de la mort en m’adoptant pour son fils.

— Une vieille femme !

— Oui, et chrétienne.

— Chrétienne ! Oah ! T’aime-t-elle ?

— Elle m’est tout dévouée.

— Oah ! bien. Va m’attendre dans sa cabane.

Le Renard-Noir, qui voyait la foule s’ébranler et s’avancer de leur côté, disparut en rampant dans l’ombre.

— Quoi ! vous allez me quitter ! dit Jeanne qui serra avec angoisse le bras de son cousin.

— Oui, ma chère Jeanne ; je crois que cela vaut mieux pour nous deux. Vous comprenez que Griffe-d’Ours doit être dans une terrible rage de me voir encore vivant. S’il m’aperçoit avec vous, sa jalousie va le porter à quelque acte immédiat de violence. Rentrez sous le ouigouam de la Perdrix-Blanche. Elle vous aime assez pour vous protéger contre les entreprises de son frère. S’il y a, du reste, quelque danger pour vous, appelez-moi. J’aurai l’œil au guet, et, avec l’aide du Renard-Noir, notre ami, j’aurai facilement raison de notre ennemi commun.

Jeanne écarta la portière de la cabane.

Au même instant un bruit léger de pas se fit entendre derrière eux. Mornac et sa cousine se retournèrent et aperçurent la Perdrix-Blanche qui s’avançait aussi pour entrer dans son ouigouam.

La jeune iroquoise jeta sur Mornac un regard joyeux qui signifiait combien elle était contente de voir le sauveur de son enfant encore une fois sain et sauf.

Mornac la salua comme si elle eût été marquise, et s’éloigna autant pour éviter Griffe-d’Ours que pour aller faire quelque toilette ; ce qui n’était pas sans nécessité. Car les Sauvages et le feu ne lui avaient guère laissé d’au-