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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/75

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tres vêtements que les tatouages dont on l’avait grotesquement barbouillé. Heureusement qu’il faisait nuit. Il courut à sa cabane, répondit à l’étreinte de la vieille femme toute heureuse de le voir encore en vie, et se lava de pied en cap pour faire disparaître les couleurs qui bariolaient tout son corps.

L’épiderme, rougi par la chaleur du bûcher, lui cuisait fort, et en certains endroits il s’en allait par lambeaux. Encore, le Gascon pouvait-il s’estimer heureux d’avoir sauvé sa chair et ses os.

Le bruit s’éteignit peu à peu dans le village, et tout y était paisible quand Mornac eut fini de se débarbouiller.

Il en était à se couvrir de vêtements plus chrétiens lorsque la portière du ouigouam s’écarta doucement pour laisser passer le Renard-Noir.

La vieille femme qui venait de se coucher se mit sur son séant et resta bouche béante, lorsqu’elle aperçut le Huron.

Le Renard-Noir s’avança vers elle, lui dit quelques mots que Mornac ne comprit pas, et, en terminant, fit le signe de la croix.

La vieille parut aussitôt rassurée.

— Le chef a fait entendre à la vieille mère, dit-il ensuite au chevalier, qu’il est ton ami, qu’il ne veut aucun mal à cette femme et que lui aussi est chrétien. Elle est satisfaite. Je n’ai rien à craindre. Parlons.

— À vos ordres, chef.

— Que mon fils me dise d’abord pourquoi on l’avait attaché au bûcher quand je suis entré dans la bourgade ?

Mornac raconta en quelques mots sa malheureuse tentative de fuite avec mademoiselle de Richecourt.

Le Huron sourit plusieurs fois au récit de cette imprudente escapade et repartit :

— Il faut que mon fils soit bien inexpérimenté pour avoir agi de la sorte et qu’il connaisse bien peu les hommes de ce pays pour avoir cru leur échapper aussi facilement. N’importe le jeune homme est brave. Je l’ai bien vu lorsqu’il était sur le bûcher. Aussi allais-je me dévouer pour lui et tâcher de couper ses liens et de m’enfuir avec lui. Mais le grand bruit que les esprits ont fait en secouant la terre, et le dévouement de la belle vierge blanche m’ont devancé. Je vais essayer de vous faire fuir, moi, en y mettant toute la ruse d’un vieux chef. L’autre homme à la face pâle, où est-il ?

— Vilarme ?

— Oui.

— Ne nous inquiétons pas de lui, et puisse-t-il rester ici où il est bien plus à sa place qu’en pays civilisé. À moins que vous n’aimiez mieux que je le tue avant de partir.

Le chef huron ouvrit de grands yeux en découvrant cette haine mortelle qui lui semblait exister entre Vilarme et Mornac.

Celui-ci qui s’en aperçut, exposa en quelques mots au Renard-Noir les méfaits du mécréant.

Le Huron repartit :

— C’est un chien enragé. Il faudra s’en défaire. Avez-vous d’autres amis dans le village que la vieille femme d’ici ?

— La Perdrix-Blanche, qui est la propre sœur de Griffe-d’Ours. J’ai sauvé son enfant. Il se noyait. Depuis ce temps elle semble beaucoup adorer mademoiselle de Richecourt. Elle connaissait notre fuite de ce soir et n’en a rien dit à personne. Sans la trahison de ce maudit Vilarme…

— Oah ! bien, elle vous aidera encore. Le chef va l’aller voir tout de suite. Que le jeune homme attende mon retour.

Il sortit et gagna, à pas de loup, le ouigouam de la Perdrix-Blanche.

Il tira la peau qui servait de porte et regarda à l’intérieur.

Les deux femmes étaient seules.

Le Renard-Noir entra.

Mademoiselle de Richecourt le reconnut ; mais la Perdrix-Blanche ne put retenir un cri.

Le Renard-Noir s’avança vers l’Iroquoise en lui faisant signe de se taire, et commença avec elle en dialecte iroquois, un entretien qui se peut traduire comme suit :

— Que la jeune femme n’ait point peur. Le Huron ne lui veut pas de mal. Il est l’ami de la jeune vierge pâle et du jeune homme blanc qui a sauvé ton enfant prêt à se noyer. Es-tu bien reconnaissante au jeune homme ?

La mère jeta un regard de feu de ses grands yeux noirs sur l’enfant qui dormait dans un coin de la cabane et répondit :

— S’il fallait mourir pour lui, je quitterais volontiers la vie.

— Tu peux le sauver à moins que cela. Écoute. Tu connais la croyance commune aux Sauvages au sujet des maladies et de certains rêves fâcheux, ainsi que le soin qu’ils prennent d’en détourner le cours et l’accomplissement. Demain fais venir tes parents et tes amis et annonce-leur que tu es malade et que tu as rêvé, pendant la nuit, que tu étais menacée de mort. Tu demanderas qu’on fasse un festin à tout manger pour apaiser la colère de l’esprit. On ne pourra point te refuser. Le soir, pendant que tout le village sera plongé dans les jouissances du grand repas, je ferai évader la vierge blanche et son ami. La jeune femme consent-elle ?

La Perdrix-Blanche réfléchit un instant et répondit :

— Si le guerrier huron veut promettre qu’il ne fera aucun mal à mon frère Griffe-d’Ours, j’obéirai.

L’œil fauve du Renard-Noir étincela ; son bras eut un mouvement nerveux. Néanmoins il répondit :

— Il y a bien longtemps que le chef huron veut se venger de Griffe-d’Ours. Mais ma vengeance attendra et je n’entreprendrai rien encore contre ton frère. J’ai dit.

— Alors, tu seras obéi.

— Fais donc que le festin ait lieu demain soir ?

— Demain, à la tombée du jour aura lieu le grand repas.

— La jeune femme a un bon cœur et le Grand Esprit lui en tiendra compte un jour. — Mademoiselle, dit-il ensuite en se tournant vers Jeanne qui écoutait tout sans rien comprendre, prenez garde, d’ici à demain, d’irriter Griffe-d’Ours pour qu’il ne porte pas sur vous des