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Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/162

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et fut renversé. On s’empara du meurtrier qui ne connaissait point sa victime et n’était pas connu d’elle, puis on le livra à la justice. Au bout de six semaines, le général était sur pied, mais ne pouvait se servir ni de ses bras ni de ses mains toujours emprisonnés dans un appareil. C’est dans cet état qu’il vint, conduit par le général du Taillis, prendre gîte à la préfecture de Versailles pendant que la cour d’assises jugeait le braconnier. Celui-ci fut sauvé, grâce à la déposition bienveillante du général qu’il avait mutilé sans raison, et ne fut condamné qu’à cinq ou six ans de travaux forcés.

Le général, quand nous le vîmes à cette époque, ne pouvait faire usage encore ni de ses bras ni de ses mains ; son domestique lui donnait à manger comme à un enfant. C’était un douloureux spectacle que la vue de cet homme encore jeune, que la guerre avait épargné, et qui tombait en pleine paix, victime de la folie d’un scélérat. Depuis, le général, soigné par un habile médecin, a recouvré complètement l’usage de ses membres mutilés, et c’est même après cet événement qu’il a composé et peint son beau tableau de la bataille de la Moskowa.

Le général Lejeune avait une charmante figure, pleine de douceur et de distinction ; ses manières étaient des plus élégantes et sa taille était souple et bien prise. Ses allures n’avaient rien de militaire, et on l’eut pris bien plutôt pour un préfet que pour un général. J’ai fait avec lui de longues promenades, son esprit était cultivé ; il racontait avec une grâce toute