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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/178

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mulateur bien chargé, toujours prêt, et qui me permet n’importe quel effort ! Mais que vaudraient toutes ces forces, sans un levier pour m’en servir, M. l’abbé ? » Il tenait à la main une trousse plate, en nickel, qui brillait sous la lumière du plafonnier, et qu’il ne savait trop où mettre ; il finit par la glisser sur le dessus de la bibliothèque. « Et tant mieux », lança-t-il, à pleine voix, avec cet accent gouailleur, normand, que prenait quelquefois son père. « Et tra la la, et vive l’orgueil, M. l’abbé ! »

La malle se vidait. Antoine retira du fond deux petits cadres de peluche, qu’il regarda distraitement. C’étaient les photographies de son grand-père maternel et de sa mère : un beau vieillard, debout, en frac, la main sur un guéridon chargé de livres ; une jeune femme, aux traits fins, au regard insignifiant, plutôt doux, avec un corsage ouvert en carré et deux boucles molles tombant sur l’épaule. Il avait tellement l’habitude d’avoir sous les yeux cette image de sa mère, que c’est ainsi qu’il la revoyait, bien que ce portrait datât des fiançailles de Mme Thibault, et qu’il n’eût jamais connu sa mère avec cette coiffure. Il avait neuf ans