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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/196

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prends ce que je veux dire ? Et ce qui est terrible, c’est justement d’avoir en soi cet élan, ce même élan, l’élan des Thibault. Comprends-tu ? Nous autres, les Thibault, nous ne sommes pas comme tout le monde. Je crois même que nous avons quelque chose de plus que les autres, à cause de ceci : que nous sommes des Thibault. Moi, partout où j’ai passé, au collège, à la Faculté, à l’hôpital, partout, je me suis senti un Thibault, un être à part, je n’ose pas dire supérieur, et pourtant si, pourquoi pas ? oui, supérieur, armé d’une force que les autres n’ont pas. Et toi, penses-y ? À l’école, est-ce que tu ne sentais pas, tout cancre que tu étais, cet élan intérieur qui te faisais dépasser tous les autres, en force ? »

— « Oui », articula Jacques, qui ne pleurait plus. Il dévisageait son frère avec un intérêt passionné, et sa physionomie avait pris à l’improviste une expression d’intelligence et de maturité qui lui donnait dix ans de plus que son âge.

— « Voilà longtemps que j’ai constaté ça », reprit Antoine. « Il doit y avoir en nous une combinaison exceptionnelle, d’orgueil, de violence, d’obstination, je ne sais comment