Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/198

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que les Thibault peuvent tout entreprendre. Dépasser les autres ! S’imposer ! Il le faut. Il faut que cette force, cachée dans une race, aboutisse enfin ! C’est en nous que l’arbre Thibault doit s’épanouir : l’épanouissement d’une lignée ! Comprends-tu ça ? » Jacques avait toujours ses yeux rivés à ceux d’Antoine, avec une attention douloureuse. « Comprends-tu ça, Jacques ? »

— « Mais oui, je comprends ! » cria-t-il presque. Ses yeux clairs brillaient ; une sorte d’irritation vibrait dans sa voix. Il avait un pli bizarre au coin des lèvres : on eut dit qu’il en voulait à son frère d’avoir ainsi bouleversé son âme par ce souffle inattendu. Il eut un rapide frisson ; puis son visage se détendit, prit une expression de fatigue extrême.

— « Ah, laisse-moi ! » fit-il tout à coup, et il laissa tomber le front entre ses mains.

Antoine s’était tu. Il examinait son frère. Comme il avait encore maigri, pâli, depuis quinze jours ! Ses cheveux roux, tondus de près, accusaient le volume anormal du crâne, et rendaient plus visible le décollement des oreilles, la fragilité de la nuque. Antoine remarqua la peau transparente des