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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/211

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tenir la maison ; elle disait aussi qu’il avait un bec-de-lièvre, où brûlait, du matin au soir, un cigare qui sentait la suie ; et, cessant de sourire, sans transition, elle se mit à pleurer.

Jacques était assis à sa table. L’album était ouvert devant lui. Lisbeth s’était posée sur le bras du fauteuil ; lorsqu’elle se penchait, il respirait son souffle et ses frisures lui frôlaient l’oreille. Il n’éprouvait aucun trouble des sens. Il avait connu la perversité ; mais un autre monde maintenant le sollicitait, qu’il croyait découvrir en lui, qu’il exhumait d’un roman anglais récemment parcouru : l’amour chaste, un sentiment de plénitude heureuse et de pureté.

Toute la journée son imagination ne cessa de préparer, dans les plus menus détails, l’entrevue du lendemain : ils étaient seuls dans l’appartement, et il était bien convenu que rien ne les dérangerait de la matinée ; il avait assis Lisbeth sur le canapé, à droite ; elle penchait la tête en avant, et lui, debout, il apercevait sa nuque sous les cheveux follets, dans l’échancrure du corsage ; elle n’osait pas lever les yeux ; il se penchait : — « Je ne veux pas que vous repartiez… »