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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/227

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de partager avec Daniel ce poids qui l’étouffait. Et, dans son exaltation solitaire, il avait par avance vécu les heures d’amitié totale, où il supplierait son ami d’aimer une moitié de Lisbeth, et Lisbeth de laisser Daniel prendre à sa charge cette moitié d’amour.

— « Je t’ai dit de t’en aller », reprit Antoine, qui affectait de rester impassible et savourait sa supériorité. « Nous reparlerons de tout cela quand tu auras recouvré la raison. »

— « Lâche ! » hurla Jacques que ce flegme exaspérait. « Pion ! » Et il partit en claquant la porte.

Antoine se leva pour donner un tour de clef, et se jeta dans un fauteuil. Il avait pâli de rage.

« Pion ! L’imbécile. Pion. Il me le paiera. S’il croit qu’il peut se permettre — il se trompe ! Ma soirée est perdue, je suis incapable de travailler maintenant. Il me le paiera. Ma tranquillité d’autrefois. Quelle sottise j’ai faite ! Et pour ce petit imbécile. Pion ! Plus on en fait pour eux… L’imbécile, c’est moi : je gâche pour lui une partie de mon temps, de mon travail. Mais c’est fini. J’ai ma vie, moi, mes exa-