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le pardon

— J’ai traversé les boulevards aujourd’hui.

Deux ou trois fois par an, son mari l’emmenait au théâtre. C’étaient des fêtes dont le souvenir ne s’éteignait plus et dont on reparlait sans cesse.

Quelquefois, à table, trois mois après, elle se mettait brusquement à rire, et s’écriait :

— Te rappelles-tu cet acteur habillé en général et qui imitait le chant du coq ?

Toutes ses relations se bornaient à deux familles alliées qui, pour elle, représentaient l’humanité. Elle les désignait en faisant procéder leur nom de l’article « les » — les Martinet et les Michelin.

Son mari vivait à sa guise, rentrant quand il voulait, parfois au jour levant, prétextant des affaires, ne se gênant point, sûr que jamais un soupçon n’effleurerait cette âme candide.

Mais un matin, elle reçut une lettre anonyme.

Elle demeura éperdue, ayant le cœur trop droit pour comprendre l’infamie des dénonciations, pour mépriser cette lettre dont l’auteur se disait inspiré par l’intérêt de son bonheur, et la haine du mal, et l’amour de la vérité.