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l’ordonnance

« Or, père, voici ce qui arriva. Un jour, dans la même île où j’étais venue à la nage, mais, seule, cette fois, j’ai retrouvé votre ordonnance. Cet homme m’attendait et il m’a prévenue qu’il allait nous dénoncer à vous et vous livrer des lettres gardées par lui, volées, si je ne cédais point à ses désirs.

« Oh ! père, mon père, j’ai eu peur, une peur lâche, indigne, peur de vous surtout, de vous si bon, et trompé par moi, peur pour lui encore — vous l’auriez tué — pour moi aussi, peut-être, est-ce que je sais, j’étais affolée, éperdue, j’ai cru l’acheter encore une fois ce misérable qui m’aimait aussi, quelle honte !

« Nous sommes si faibles, nous autres, que nous perdons la tête bien plus que vous. Et puis, quand on est tombé, on tombe toujours plus bas, plus bas. Est-ce que je sais ce que j’ai fait ? J’ai compris seulement qu’un de vous deux et moi allions mourir — et je me suis donnée à cette brute.

« Vous voyez, père, que je ne cherche pas à m’excuser.

« Alors, alors — alors, ce que j’aurais dû pré-