Page:Maupassant - La main gauche, Ollendorff, 1903.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
un soir

Monsieur », me fit monter un escalier, et me montrant une porte : « Ici ! » dit-il. Je serrais ma canne comme si mes doigts eussent été de fer. J’entrai.

J’avais bien choisi l’instant. Ils s’embrassaient : mais ce n’était pas Montina. C’était le général de Flèche, le général qui avait soixante-six-ans !

Je m’attendais si bien à trouver l’autre, que je demeurai perclus d’étonnement.

Et puis… et puis… je ne sais pas encore ce qui se passa en moi… non… je ne sais pas ! Devant l’autre, j’aurais été convulsé de fureur !… Devant celui-là, devant ce vieil homme ventru, aux joues tombantes, je fus suffoqué par le dégoût. Elle, la petite, qui semblait avoir quinze ans, s’était donnée, livrée à ce gros homme presque gâteux, parce qu’il était marquis, général, l’ami et le représentant des rois détrônés. Non, je ne sais pas ce que je sentis, ni ce que je pensai. Ma main n’aurait pas pu frapper ce vieux ! Quelle honte ! Non, je n’avais plus envie de tuer ma femme, mais toutes les femmes qui peuvent faire des choses pareilles ! Je n’étais plus jaloux, j’étais éperdu comme si j’avais vu l’horreur des horreurs !