Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/363

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roulée près de la grande couche, Christiane étendit sa main jusqu’à l’enfant endormie, et elle dit tout bas : « Fais dodo, ma petite. Tu ne trouveras jamais personne qui t’aimera autant que moi. »

Elle passa les jours suivants dans une mélancolie tranquille, songeant beaucoup, se faisant une âme résistante, un cœur énergique, pour reprendre la vie dans quelques semaines. Sa principale occupation maintenant consistait à contempler les yeux de sa fille, cherchant à y surprendre un premier regard, mais n’y voyant rien que deux trous bleuâtres invariablement tournés vers la grande clarté de la fenêtre.

Et elle ressentait de profondes tristesses en songeant que ces yeux-là, encore endormis, regarderaient le monde comme elle l’avait regardé elle-même, à travers l’illusion du rêve intérieur qui fait heureuse, confiante et gaie l’âme des jeunes femmes. Ils aimeraient tout ce qu’elle avait aimé, les beaux jours clairs, les fleurs, les bois et les êtres aussi, hélas ! Ils aimeraient un homme sans doute ! Ils aimeraient un homme ! Ils porteraient en eux son image connue, chérie, la reverraient quand il serait loin, s’enflammeraient en l’apercevant… Et puis… et puis… ils apprendraient à pleurer ! Les larmes, les horribles larmes couleraient sur ces petites joues ! Et l’affreuse souffrance des amours trahis les rendrait méconnaissables, éperdus d’angoisse et de désespoir, ces pauvres yeux vagues, qui seraient bleus.