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mont-oriol

Elle répondait :

— Moi aussi, Paul, je vois votre cœur !

Et ils se voyaient, en effet, l’un et l’autre, jusqu’au fond de l’âme et du cœur, car ils n’avaient plus dans l’âme et dans le cœur qu’un furieux élan d’amour l’un vers l’autre.

Il disait :

— Liane, votre œil est comme le ciel ! il est bleu, avec tant de reflets, avec tant de clarté ! Il me semble que j’y vois passer des hirondelles ! ce sont vos pensées, sans doute ?

Et quand ils s’étaient longtemps, longtemps contemplés ainsi, ils se rapprochaient encore et s’embrassaient doucement, par petits coups, en se regardant de nouveau, entre chaque baiser. Quelquefois il la prenait dans ses bras et l’emportait en courant le long du ruisseau qui glissait vers les gorges d’Enval avant de s’y précipiter. C’était un étroit vallon où alternaient des prairies et des bois. Paul courait sur l’herbe et par moments, élevant la jeune femme au bout de ses poignets puissants, il criait :

« Liane, envolons-nous. » Et ce besoin de s’envoler, l’amour, leur amour exalté, le jetait en eux, harcelant, incessant, douloureux. Et tout, autour d’eux, aiguisait ce désir de leur âme, l’air léger, un air d’oiseau, disait-il, et le vaste horizon bleuâtre où ils auraient voulu s’élancer tous les deux, en se tenant par la main, et disparaître au-dessus de la plaine infinie lorsque la nuit s’étendait sur elle. Ils seraient partis ainsi à travers le ciel embrumé du soir, pour ne jamais revenir. Où seraient-ils allés ? Ils ne le savaient point, mais quel rêve !