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lui répétant, avec une sincérité familière, d’un ton si franc qu’on n’y pouvait guère trouver un aveu d’amour : « Je vous aime bien, allez ! »

Mazelli, surpris de cette rivalité inattendue, déployait tous ses moyens, et quand Brétigny, mordu par la jalousie, par cette jalousie native qui étreint l’homme auprès de toute femme, même sans qu’il l’aime encore, si seulement elle lui plaît, quand Brétigny, plein de violence naturelle, devenait agressif et hautain, l’autre, plus souple, maître de lui toujours, répondait par des finesses, par des pointes, par des compliments adroits et moqueurs.

Ce fut une lutte de tous les jours où l’un et l’autre s’acharnèrent, sans que l’un ou l’autre, peut-être, eût de projet bien arrêté. Ils ne voulaient point céder, comme deux chiens qui tiennent la même proie.

Charlotte avait repris sa bonne humeur, mais avec une malice plus pénétrante, avec quelque chose d’inexpliqué, de moins sincère dans le sourire et dans le regard. On eût dit que la désertion de Gontran l’avait instruite, préparée aux déceptions possibles, assouplie et armée. Elle manœuvrait entre ses deux amoureux d’une façon déliée et adroite, disant à chacun ce qu’il fallait lui dire, sans heurter jamais l’un à l’autre, sans laisser jamais supposer à l’un qu’elle le préférait à l’autre, se moquant un peu de celui-ci devant celui-là, et de celui-là devant celui-ci, leur laissant la partie égale sans paraître même les prendre au sérieux l’un et l’autre. Mais tout cela était fait simplement, en pensionnaire et non point en coquette, avec cet air gamin des jeunes filles, qui les rend parfois irrésistibles.