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gémissements de sa femme, harcelait de questions M. Mas-Roussel, et l’appelait aussi « cher maître », à pleine bouche.

Christiane, presque nue devant ces hommes, ne voyait plus rien, ne savait plus rien, ne comprenait plus rien ; elle souffrait si horriblement que toute idée avait fui de sa tête. Il lui semblait qu’on lui promenait dans le flanc et dans le dos à la hauteur des hanches une longue scie à dents émoussées qui lui déchiquetait les os et les muscles, lentement, d’une façon irrégulière, avec des secousses, des arrêts et des reprises de plus en plus affreuses.

Quand cette torture s’affaiblissait quelques instants, quand les déchirures de son corps laissaient renaître sa raison, une pensée alors se plantait dans son âme, plus cruelle, plus aiguë, plus épouvantable que la douleur physique : Il aimait une autre femme et il allait l’épouser.

Et pour que cette morsure qui lui rongeait la tête s’apaisât de nouveau, elle s’efforçait de réveiller le supplice atroce de sa chair ; elle agitait son flanc, elle remuait ses reins ; et quand la crise recommençait, au moins elle ne songeait plus.

Pendant quinze heures elle fut ainsi martyrisée, tellement broyée par la souffrance et le désespoir qu’elle désirait expirer, qu’elle s’efforçait de mourir dans ces spasmes qui la tordaient. Mais, après une convulsion plus longue et plus violente que les autres, il lui sembla que tout le dedans de son corps s’échappait d’elle tout à coup ! Ce fut fini ; ses douleurs se calmèrent comme des vagues qui s’apaisent ; et le soulagement qu’elle éprouva fut si grand que son chagrin