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mont-oriol

— Avec Charlotte ?

— Avec Charlotte.

Or William avait, lui aussi, une idée fixe qui déjà ne le quittait plus : sa fille, à peine vivante encore, et qu’il venait regarder à tout instant. Il s’indigna que la première parole de Christiane n’eût pas réclamé l’enfant ; et, d’un ton de doux reproche :

— Eh bien, voyons, tu n’as pas encore demandé la petite ? Tu sais qu’elle se porte très bien ?

Elle tressaillit comme s’il eût touché une plaie vive ; mais il lui fallait bien passer par toutes les stations de ce calvaire.

— Apporte-la, dit-elle.

Il disparut au pied du lit, derrière le rideau, puis il revint, la figure illuminée d’orgueil et de bonheur, et tenant en ses mains, d’une façon maladroite, un paquet de linge blanc.

Il le posa sur l’oreiller brodé, près de la tête de Christiane qui suffoquait d’émotion, et il dit :

— Tiens, regarde si elle est belle !

Elle regarda.

Il maintenait écartées, avec deux doigts, les dentelles légères dont était voilée une petite figure rouge, si petite, si rouge, aux yeux fermés, et dont la bouche remuait.

Et elle songeait, penchée sur ce commencement d’être : « C’est ma fille… la fille de Paul… Voilà donc ce qui m’a fait tant souffrir… Cela… cela… cela… c’est ma fille !… »

Sa répulsion pour l’enfant dont la naissance avait si férocement déchiré son pauvre cœur et son tendre corps de femme venait soudain de disparaître ; elle le