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contemplait maintenant avec une curiosité ardente et douloureuse, avec un étonnement profond, un étonnement de bête qui voit sortir d’elle son premier-né.

Andermatt s’attendait à ce qu’elle le caressât avec passion. Il fut encore surpris et choqué, et demanda :

— Tu ne l’embrasses pas ?

Elle se pencha tout doucement vers le petit front rouge ; et à mesure qu’elle approchait ses lèvres, elle les sentait attirées, appelées par lui. Et quand elle les eut posées dessus, quand elle le toucha, un peu moite, un peu chaud, chaud de sa propre vie, il lui sembla qu’elle ne les pourrait plus retirer, ses lèvres, de cette chair d’enfant, qu’elle les y laisserait toujours,

Quelque chose frôla sa joue ; c’était la barbe de son mari, qui se penchait pour l’embrasser. Et quand il l’eut serrée longtemps contre lui, avec une tendresse reconnaissante, il voulut, à son tour, baiser sa fille, et il lui donna avec sa bouche tendue de petits coups bien doux sur le nez.

Christiane, le cœur crispé par cette caresse, les regardait, à côté d’elle, sa fille et lui… et lui !

Il prétendit bientôt remporter l’enfant dans son berceau.

— Non, dit-elle, laisse-le encore quelques minutes, que je le sente près de ma tête. Ne parle plus, ne bouge pas, laisse-nous, attends.

Elle passa un de ses bras par-dessus le corps caché