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esprit, le faisait brusquement rougir ou pâlir d’angoisse. Il songeait aussi, avec un trouble profond, à cet enfant inconnu dont il était le père, et il demeurait harcelé par le désir et la peur de le voir. Il se sentait enfoncé dans une de ces saletés morales qui tachent, jusqu’à sa mort, la conscience d’un homme. Mais il redoutait surtout le regard de cette femme qu’il avait aimée si fort et si peu longtemps.

Aurait-elle pour lui des reproches, des larmes ou du dédain ? Ne le recevait-elle que pour le chasser ?

Et quelle devait être son attitude à lui ? Humble, désolée, suppliante ou froide ? S’expliquerait-il ou écouterait-il sans répondre ? Devait-il s’asseoir ou rester debout ?

Et, quand on lui montrerait l’enfant, que ferait-il ? que dirait-il ? De quel sentiment apparent devrait-il être agité ?

Devant la porte il s’arrêta de nouveau, et, au moment de toucher le timbre, il s’aperçut que sa main tremblait.

Il appuya son doigt cependant sur le petit bouton d’ivoire et il entendit dans l’intérieur de l’appartement tinter la sonnerie électrique.

Une domestique vint ouvrir, le fit entrer. Et, dès la porte du salon, il aperçut, au fond de la seconde chambre, Christiane qui le regardait, étendue sur sa chaise longue.

Ces deux pièces à traverser lui parurent interminables. Il se sentait chanceler, il avait peur de heurter des sièges et il n’osait pas regarder à ses pieds pour ne point baisser les yeux. Elle ne fit pas un geste, elle ne dit pas un mot, elle attendait qu’il fût près d’elle. Sa