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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/102

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LE ROI VIERGE

la bouche saignante sous mes dents, haletante dans l’étreinte de mes propres bras, brisée ! On disait : Pauvre petite ! elle est somnambule.

« Quand mon père et ma mère, — nous étions très riches, nous habitions à Barcelone un grand palais près de la mer, — quand mon père et ma mère s’en allaient dans quelque voyage, je couchais avec une servante qui était chargée de veiller sur moi. Cette fille avait un amant, qu’elle faisait entrer, le soir, mystérieusement, dans sa chambre. Un garçon aux allures brutales, brun, presque noir, avec une veste où il y avait de l’or brodé dessus. Quelque torero sans doute. Ils soupaient ensemble, en se racontant des histoires ou en s’embrassant ; pour s’assurer ma discrétion, ils me faisaient manger et boire avec eux. Je me souviens que cet homme me regardait souvent, à la dérobée, quand sa maîtresse tournait la tête. J’avais neuf ans, je grandissais, plus grasse. Quelquefois aussi, il me prenait la nuque, dans sa main petite, mais rude et velue ; les poils durs m’entraient dans la chair comme des pointes d’aiguille ; et il me serrait au point de me faire tirer la langue. Alors il disait des choses que je ne comprenais pas, qui