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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/130

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LE ROI VIERGE

— Oui, répondit le directeur, assis derrière Gloriane, à côté d’un guéridon, la main gauche sur une feuille déployée où l’on voyait des lignes imprimées et des lignes manuscrites, et la main droite jouant avec une plume fraîchement trempée d’encre.

Cet impresario, qui se nommait M. Chaudurier, bien que les ténors italiens qui parlent avec l’accent marseillais, s’obstinassent à l’appeler « il signor Chauduriero », était un très vieux petit homme, au front fuyant, aux yeux ronds comme des billes, au nez pointu, — presque sans lèvres, la peau d’un rose sale, le menton gris d’une dure barbe rase. Grêle, malingre, se mouvant par sursauts brusques, il avait l’air d’un automate détraqué, et comme il s’exprimait d’ordinaire en petites phrases soudaines, rapides, courtes, accompagnées de brèves commotions, on eût dit que le ressort des gestes faisait aussi jaillir les paroles. On remarquait tout de suite la rêverie bête de ses yeux et la ruse aigüe de son nez. En effet, c’était un imbécile, qui était en même temps un finaud. Il arrivait à perdre de l’argent, par mille petits moyens ingénieux. Subtil, sournois, fripon au besoin, il était mala-