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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/216

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LE ROI VIERGE

est-ce que c’est un vrai ciel, là, sur nos têtes, et une vraie lune, et des étoiles véritables ? Ici, il est minuit ; dehors, il est midi. De l’eau, ce lac ? Un oiseau, ce cygne ? Non, n’est-ce pas ? Tu sais, continua-t-elle un peu moins gaie, je suis très contente de voir cela, je suis inquiète aussi. Il y a quelque chose qui me gêne dans le plaisir que j’ai. Peut-être parce que ces belles choses ne sont pas naturelles. Enfin, c’est du mensonge qui nous entoure ? Ce ne doit pas être bien de contrefaire ainsi la création divine. Il n’est pas permis, sans doute, d’avoir un autre ciel que le ciel. Tu connais l’histoire de l’Ange mélancolique et révolté qui, ayant vu l’Eden, en voulut faire un à son tour ? C’est à ce paradis diabolique que doit ressembler le paysage où nous sommes. Il est tout pareil à la réalité des plaines, des eaux, du soir ; mais on éprouve, à le regarder, un malaise qui serre le cœur et le glace. Oh ! vois-tu, c’est que Dieu n’est pas ici. Et toi-même, mon Fried, tu es comme si tu n’existais pas à la façon des autres hommes. Tu es différent. Je ne suis pas bien sûre que tu me voies, ni que tu m’entendes. Peut-être tu n’es pas plus Frédérick que ces astres ne sont des étoiles. Tu vis, toi