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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/26

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LE ROI VIERGE

cacher une moue de désappointement ; celle qui était là, c’était la comtesse de Soïnoff.

D’abord, elle pouffa de rire. C’était sa façon de saluer les gens ; comme elle était ambassadrice, ces jolis rires-là avaient failli créer d’assez sérieux embarras au gouvernement que représentait son mari. Par bonheur, il était convenu qu’elle était folle — bien que les gens avisés en doutassent un peu. On lui attribuait cette parole grave : « La vie est un jour de Mi-Carême. Quelques-uns se masquent, moi je ris. »

Elle avait la passion de se compromettre, et l’adresse de ne jamais être compromise qu’à moitié. Pas jolie, une frimousse au lieu de visage sous de courts cheveux qui s’ébouriffaient en frisons ; trop brune et ne se fardant pas, maigre avec de si petits os, mais des braises dans les yeux et des piments aux lèvres ; toilettes hardies, au point qu’elle étonnait les filles elles-mêmes par l’inattendu de ses chapeaux ou la bizarrerie affolée de ses robes, et les femmes de la cour par la nudité de sa poitrine plate, couleur de cuir de Russie ; causeries presques libertines, où elle ne craignait pas de hasarder le mot vif et le geste qui souligne ; regardant les hommes