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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/266

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LE ROI VIERGE

charogne ; et la lèvre qui s’approche, affamée de parfums et de fleurs, s’écarte tout à coup, pleine de vers et d’ichor, et débordante de nausées.

Alors, il détesta Dieu. Pourquoi les choses étaient-elles ainsi ? Si les mystérieux desseins de la nature ou du créateur inconnu exigeaient qu’un attrait puissant précipitât l’homme sur la femme, opérât l’union des sexes, pourquoi la source de cet attrait n’était-elle pas autre ? Pourquoi ce qui devait être désiré n’était-il pas désirable ? Dans quel but fallait-il que la satisfaction s’achevât en écœurement ? Est-ce que Dieu, qui a fait les roses et les oiseaux, et le bleu adorable du ciel, n’aurait pas pu donner à la femme, réellement, le charme des fleurs, des ailes et du bel azur ? L’attirance n’eût pas été moindre parce que son objet eût été plus pur. L’homme, avec une ivresse égale et sans crainte de l’inévitable dégoût, eût engendré dans la fraîcheur immaculée d’un calice. Pourquoi la bouche que l’on baise est-elle la bouche qui mange ? Mais la méchanceté de Dieu avait condamné les mortels à se réjouir dans l’ignominie, à se plaire dans la fange. « Cherche ta joie parmi ton ordure ! » Et tous subissaient la dégradante loi, et c’était sans