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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/276

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LE ROI VIERGE

croix, il éleva une longue lance peut-être, ou un roseau, que terminait une rondeur. « Oh ! pensa Frédérick, l’éponge de vinaigre aux lèvres de Jésus ! » Et tandis que s’exaspérait, en gestes et en cris, la fureur de la foule, tandis que, sur le bois du gibet, s’abandonnait, comme après la suprême transe, la forme longue du pâle martyrisé, une femme agenouillée, éperdue, la poitrine sans doute secouée de sanglots, embrassait le poteau de la croix sous l’enveloppement épars de ses cheveux où s’allumait le soleil.

Tout ceci, quoique réel, était hors du possible. Par quelle rencontre inconcevable de hasards, ou plutôt par quel miracle, une colline des Alpes thuringiennes était-elle le Calvaire ? Jérusalem, ici ? La légende, visible et palpable ? La chimère, vraie ? Le passé, actuel ? Contre cette résurrection prodigieuse des heures et des choses, un esprit ferme se fût révolté ; à l’évidence, il eût opposé la négation ; il aurait cru à sa propre folie plutôt qu’au bouleversement des éternelles lois ; ou bien, maître de lui, et patient, il eût cherché l’explication du mystère, aurait poursuivi, à travers l’impossible, le plausible. Mais l’âme de Frédérick était facile aux rêveries. La rancœur de