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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/54

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LE ROI VIERGE

après le coucher de ses maîtres. Elle vint. Petite et maigre, sèche, la peau dure, des moustaches, un signe noir au coin de la bouche, presque une mauricaude sous le foulard rouge, tordu et noué, dont les deux pointes se dressent : ce qu’on appelle une brune piquante. Lui, l’air bête et réjoui, elle, presque laide, ils s’adoraient l’un l’autre, faute de mieux ; on emploie comme on peut l’amour qu’on a en soi. Quand ils se furent assis, le caporal sur un banc de pierre, Mion sur les genoux du caporal, elle se détourna vivement : « Escouto ! » dit-elle. Il y avait eu un bruit comme d’un objet lourd qui tombe à l’eau ; ils virent une femme s’éloigner en courant et s’élancer dans une ruelle, vers la ville. Le militaire eut d’abord l’idée de poursuivre la femme, mais une petite plainte s’élevait du canal. « Un enfant ! » dit le caporal. « Qu’uno garso ! » s’écria Mion. Ils s’approchèrent de la rive presque à fleur d’eau, à cause des écluses fermées. Quelque chose flottait dans la grisaille du soir sur la surface immobile ; quelque chose d’un peu long et de blanc : l’aspect d’un panier plein de linge dont on ne verrait pas l’osier. C’était de là que tenaient les cris. Comme cette espèce de nacelle