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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/62

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LE ROI VIERGE

des bonnes sœurs : lorsque, les prunelles fatiguées de la contemplation de l’affiche où les noms des acteurs lui apparaissaient en lettres de flammes, il se vautrait, la tête sur la boîte verte, en plein soleil, il lui arrivait, presque endormi, de voir, dans l’apothéose de la rampe, un Jésus-Christ à la couronne d’épines lumineuses, pâmé sur une croix d’or, et chantant ! Mais Jésus portait un lorgnon comme le premier ténor du théâtre, dont Brascassou avait quelquefois ciré les bottes sur la place Lafayette. Des femmes, en même temps, passaient dans ces songes visionnaires, presque toujours ressemblantes aux deux poupées qui montraient leur chair de cire peinte derrière la vitrine du coiffeur. Elles aussi, elles chantaient, laissant traîner sur des mosaïques de pierreries des robes de vermeil et de satin ponceau ; mais ces robes ayant la transparence du rêve, des nudités devinées l’éblouissaient à travers la splendeur des étoffes. Réveillé de sa rêverie, il voyait l’affiche jaune et considérait le tournoiement inanimé des bustes. Alors, il se frottait les yeux, se grattait l’oreille, et s’asseyait sur sa boîte, ennuyé.