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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/63

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GLORIANE

Une fois, il dit au ténor dont il cirait les bottes : « Deux sous par jour, ça fait quatorze sous au bout de la semaine. Quatorze sous, c’est le prix d’un billet de troisième. Je vous cirerai pour rien pendant sept jours, si vous voulez me donner un billet. » Le ténor éclata de rire, au risque de gâter sa voix, et dit : « Tu aimes donc le théâtre, petit ? Viens au Capitole ce soir ; tu diras mon nom au contrôle, on te laissera passer. » Extasié au point de devenir généreux, Brascassou versa tout son pot de cirage sur les bottes du ténor et les fit si bien reluire qu’il crut voir, dans le miroir du cuir, tourner, resplendissantes, les deux poupées du coiffeur.

En face de la vraie scène, des actrices et des acteurs réels, il demeura froid et d’abord triste. Il constata tout de suite, — certaines âmes ont cette faculté de désillusion rapide, — le mensonge grossier des décors, le fard trop rouge des femmes, le clinquant usé des dorures sur le pourpoint des hommes ; et, s’attendant à des lumières, à des parfums de paradis, il trouva que les quinquets louches puaient. Chez un enfant poëte, l’amour du rêve aurait nié la réalité, aurait admiré des replis d’ailes d’anges dans l’envolement des