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JOURDE. JOHANNARD. RIGAULT.

sonnages sont réunis autour d’une table. On dîne. Le repas est plus que modeste ; une soupe, un plat de viande, un plat de légumes et du fromage. Une bouteille de vin ordinaire par tête. On se croirait dans un cabinet de restaurant à deux francs, n’était la moutarde qui s’est moisie pendant le siége. De plus, le goût des mets a quelque chose d’officiel, d’atone, de solennel, qui affadit l’appétit.

Toutefois les cinq personnages mangent vite.

Celui qui tient le haut de la table, c’est le citoyen Jourde.

Jourde paraît avoir vingt-huit ans ; sa tête est fine et mathématique ; de longs cheveux châtains et bouclés, le teint fatigué ; un Henri Heine de la finance. Grand et élancé, l’écharpe rouge autour des reins, il frappe le regard comme une figure de la Convention.

On est d’abord silencieux, on s’observe. Puis, à la fin du premier service, Jourde murmure en examinant sa cuiller :

— De l’argenterie, tiens ! c’est vrai, il y a de l’argenterie à l’Hôtel de Ville ; je la ferai prendre demain.

Un convive répond, en souriant :

— Pardon, mais j’en réponds et je ne la donnerai pas.

— Si fait, répond Jourde : je vous ferai faire sommation par le Domaine.

— Ah ! pourvu que je sois à couvert, libre à vous.

Puis, Jourde, de bonne humeur, songe tout haut. Il vient de découvrir en dînant 300,000 francs inespérés. Un jour de solde. Il pourra mettre quatre millions de côté à la fin de la semaine. Il fait des économies ; mais la guerre lui dévore ses ressources. « Au moins