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INQUIÉTUDES D’UN PASSANT.

dalle descellée, toute la toiture s’effondre, une poutre sort par une fenêtre, les flammes montent. Ne vaudrait-il pas mieux voir cette maison dévorée en une heure par l’incendie que de la voir ainsi se vider et s’émietter pendant de longs jours ? Il y a dans la cour des voitures à bras, pleines de livres, de coffrets et de linge. Un garde national s’approche du feu pour examiner un petit tableau qu’il a ramassé près de la porte. Je tends le cou : le tableau représente un satyre qui joue de la flûte. Tout cela est triste et cruel. Ces hommes qui rôdent sont affreux parmi les lueurs du foyer qui les rougit. Je m’en retourne. Je ne songe pas à l’homme politique. Je pense à cette maison où on a travaillé, où on a pensé, où maintenant les livres ne sont plus sur les rayons de la bibliothèque, où le fauteuil cher à la rêverie a été brûlé dans la cheminée même près de laquelle il était demeuré pendant de si long jours ; je pense aux témoins d’une longue vie, détruits, dispersés, disparus, aux parents dont on ne trouvera plus les traces dans les chambres aujourd’hui vides, demain écroulées ; je songe enfin à tout ce qui se brise dans une maison qui tombe. Moi, je n’ai pas une maison, je n’ai que quelques chambres dans un « immeuble » qui ne m’appartient pas, et pourtant je frémis à cette seule idée que l’on pourrait un jour — en ce temps, hélas ! tout est possible, — entrer brusquement dans ces pauvres chambres, remuer ces meubles médiocres qui me plaisent, déchirer ces livres, si peu nombreux, mais si connus de mes yeux et de mon esprit, éparpiller ces vers que j’aime pour le plaisir que j’ai pris à les faire, tuer enfin tout ce qui est ma vie, bien plus cruellement que si quatre fédérés