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EXPLOSION DE LA POUDRIÈRE DE GRENELLE.

formidables que l’on croirait produits par une batterie de mitrailleuses. Des bouffées blanchâtres, une à une et lentement, vont rejoindre le nuage. Je ne marche plus, je cours. Du rond-point de l’Étoile, on peut voir peut-être. J’arrive, je m’oriente, je vois. C’est affreux et grandiose. De vastes nappes de fumée, mouvantes et grandissantes, se superposent jusqu’au ciel. Parfois le vent les courbe et une moitié de la ville, là-bas, à gauche, disparaît sous un moutonnement onduleux d’épaisses vapeurs. Puis, soudain, s’élance une flamme, une seule, mais énorme, intense, directe, comme celle qui sortirait d’une trappe de l’enfer brusquement ouverte, et au-dessus d’elle, la grande colonne de fumée, traversée, léchée, rougie, bleuie, illuminée par l’éruption du feu. En même temps des explosions comme de cent caissons d’artillerie sautant l’un après l’autre. Et toute cette splendide hideur m’assourdissait et m’aveuglait. J’aurais voulu m’approcher, sentir les brûlures voisines, me précipiter. J’avais le vertige de l’incendie.

Je descends vers le quai de Passy. Il y a foule. Ou nous crie : « N’avancez pas ! le feu gagne la cartoucherie. » Au même instant une grêle de balles tombe sur les badauds. On se croit blessé, on s’enfuit. Je ne songe même pas à me retirer. D’ici, c’est encore plus épouvantablement beau. Cependant la foule, revenue de sa frayeur, se rassemble de nouveau. Des nouvelles circulent. Quatre maisons à cinq étages ont été renversées. On n’ose pas préjuger le nombre des victimes. Des corps sont tombés des fenêtres, affreusement mutilés. On a ramassé d’un enté des bras et d’un autre côté des jambes. Près de la poudrière il y a un hôpital. Il a été ébranlé des fonde-