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Page:Mendès - Les Oiseaux bleus, 1888.djvu/25

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LES OISEAUX BLEUS

rire aux lèvres, un sourire pensif et résolu, avec un air de préméditation heureuse, comme si elle eût formé le dessein de quelque grande joie. Je remarquai qu’elle avait sous son bras gauche un journal déchiré, mal replié. Une fois, il tomba, elle le reprit très vite. Qu’en voulait-elle faire ? Je la regardais. Maladive et triste, elle n’était point vilaine pourtant. Lavée, bien vêtue, on eût fait une belle enfant riche avec cette laide enfant pauvre. Elle marchait d’un pas décidé. Elle avait dans les yeux quelque chose qui ressemblait à un rêve.

Cependant, l’homme et la femme, moi les suivant toujours, avaient quitté la fête. Ils avaient gagné je ne sais quelle avenue de banlieue, ils s’arrêtèrent sous une tente flottante, lourde de pluie, et prirent place devant une table. Je m’arrêtai aussi, et m’assis non loin d’eux. Ils demandèrent une bouteille de vin. Je les voyais sous la lumière d’un quinquet accroché à un poteau. Lui glabre, elle moustachue, leurs faces étaient repoussantes. Accoudés, ils se parlaient bas, avec un murmure de complot. Autour de nous, des gens,