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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome VII, 1783.djvu/174

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Que pour faire fortune il faut se ruiner.
Je le veux : toutefois peut-être est-il peu sage
De risquer ce qu’on a pour avoir davantage.
Il a beau répéter, prodigue intéressé :
« Le roi sait qu’aux états j’ai seul tout éclipsé.
» Au dernier camp, la cour en doit être informée,
» J’ai tenu table ouverte, & j’ai traité l’armée. »
Le roi, la cour, malgré des services si beaux,
Laissent en pleine rue arrêter ses chevaux.
Trop heureux le mortel dont la sage balance
Donne un juste équilibre à sa noble dépense,
Qui sait avec l’éclat joindre l’utilité,
L’abondance au bon goût, au plaisir la santé !
Sans prodigalité comme sans avarice,
Qui l’eût cru que le luxe unît ce double vice !
Tout est plein cependant d’avares fastueux.
Voyez le fier Orgon, bourgeois présomptueux.
Il pouvoit rendre heureux sa famille & lui-même ;
Sa fille eût épousé le jeune amant qu’elle aime ;
Un bon maître eût instruit ses enfans ; ses amis
À sa table à leur tour se seroient vus admis ;
Et d’un bon vin d’Aï l’influence féconde
Eût fait courir les ris & la joie à la ronde.
Mais, placé par le fort près d’un riche voisin,
Sur sa magnificence il veut monter son train ;
Et pour l’air d’être heureux, perdant le droit de l’être,