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Page:Mercure de France - 1er décembre 1918, tome 130, n° 491.djvu/15

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L’ESPRIT NOUVEAU ET LES POÈTES

notre temps, ne doit pas dégénérer en une confusion. C’est-à-dire qu’il serait sinon dangereux du moins absurde, par exemple, de réduire la poésie à une sorte d’harmonie imitative qui n’aurait même pas pour excuse d’être exacte.

On imagine fort bien que l’harmonie imitative puisse jouer un rôle, mais elle ne saurait être la base que d’un art où les machines interviendraient ; par exemple, un poème ou une symphonie composés au phonographe pourraient fort bien consister en bruits artistement choisis et lyriquement mêlés ou juxtaposés, tandis que pour ma part, je conçois mal que l’on fasse consister tout simplement un poème dans l’imitation d’un bruit auquel aucun sens lyrique, tragique ou pathétique ne peut être attaché. Et si quelques poètes se livrent à ce jeu, il ne faut y voir qu’un exercice, une sorte de croquis des notes qu’ils inséreront dans une œuvre. Le « brékéké koax » des Grenouilles d’Aristophane n’est rien si on le sépare d’une œuvre où il prend tout son sens comique et satirique. Les iiii prolongés, durant toute une ligne, de l’oiseau de Francis Jammes sont d’une piètre harmonie imitative si on les détache d’un poème dont ils précisent toute la fantaisie.

Quand un poète moderne note à plusieurs voix le vrombissement d’un avion, il faut y voir avant tout le désir du poète d’habituer son esprit à la réalité. Sa passion de la vérité le pousse à prendre des notes presque scientifiques qui, s’il veut les présenter comme poèmes, ont le tort d’être pour ainsi dire des trompe-oreilles auxquels la réalité sera toujours supérieure.

Au contraire, s’il veut par exemple amplifier l’art de la danse et tenter une chorégraphie dont les baladins ne se borneraient point aux entrechats, mais pousseraient encore des cris ressortissant à l’harmonie d’une imitative nouveauté, c’est là une recherche qui n’a rien d’absurde, dont les sources populaires se retrouvent chez tous les peuples où les danses guerrières, par exemple, sont presque toujours agrémentées de cris sauvages.

Pour revenir au souci de vérité, de vraisemblance qui domine toutes les recherches, toutes les tentatives, tous les essais de l’esprit nouveau, il faut ajouter qu’il n’y a pas lieu de s’étonner si un certain nombre et même beaucoup d’entre eux restaient momentanément stériles et sombraient même dans le ridicule. L’esprit nouveau est plein de dangers, plein d’embûches.