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MERCURE DE FRANCE—i-xii-1918

Tout cela ressortit pourtant à l’esprit d’aujourd’hui et condamner en bloc ces tentatives, ces essais, serait faire une erreur dans le genre de celle qu’à tort ou à raison on attribue à M. Thiers, qui aurait déclaré que les chemins de fer n’étaient qu’un jeu scientifique et que le monde ne pourrait produire assez de fer pour construire des rails de Paris à Marseille.

L’esprit nouveau admet donc les expériences littéraires même hasardeuses, et ces expériences sont parfois peu lyriques. C’est pourquoi le lyrisme n’est qu’un domaine de l’esprit nouveau dans la poésie d’aujourd’hui, qui se contente souvent de recherches, d’investigations, sans se préoccuper de leur donner de signification lyrique. Ce sont des matériaux qu’amasse le poète, qu’amasse l’esprit nouveau, et ces matériaux formeront un fond de vérité dont la simplicité, la modestie ne doit point rebuter, car les conséquences, les résultats peuvent être de grandes, de bien grandes choses.

Plus tard, ceux qui étudieront l’histoire littéraire de notre temps s’étonneront que, semblables aux alchimistes, des rêveurs, des poètes aient pu, sans même le prétexte d’une pierre philosophale, s’adonner à des recherches, à des notations qui les mettaient en butte aux railleries de leurs contemporains, des journalistes et des snobs.

Mais leurs recherches seront utiles ; elles constitueront les bases d’un nouveau réalisme qui ne sera peut-être pas inférieur à celui si poétique et si savant de la Grèce antique.

Nous avons vu aussi depuis Alfred Jarry le rire s’élever des basses régions où il se tordait et fournir au poète un lyrisme tout neuf. Où est le temps où le mouchoir de Desdémone paraissait d’un ridicule inadmissible ? Aujourd’hui, le ridicule même est poursuivi, on cherche à s’en emparer et il a sa place dans la poésie, parce qu’il fait partie de la vie au même titre que l’héroïsme et tout ce qui nourrissait jadis l’enthousiasme des poètes.

Les romantiques ont essayé de donner aux choses d’apparence grossière un sens horrible ou tragique. Pour mieux dire, ils n’ont travaillé qu’en faveur de l’horrible. Ils ont voulu acclimater l’horreur bien plus que la mélancolie. L’esprit nouveau ne cherche pas à transformer le ridicule, il lui conserve un rôle qui n’est pas sans saveur. De même, il ne veut pas donner à l’horrible le sens du noble. Il le laisse horrible et