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Page:Mercure de France - 1er janvier 1919, tome 131, n° 493.djvu/36

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MERCVRE DE FRANCE I-I-1919


L’ÉPOPÉE ARMÉNIENNE


Épopée, oui, et non point tragédie !

Noires sont les nouvelles qui arrivent de notre pays,
Plus noires que la noirceur réunie de toutes les nuits
Qui depuis la naissance du monde ont masqué le soleil…

Les fleuves, maintenant, y sont rouges du sang de nos martyrs,

— On dirait les avenues de la Mort couvertes de roses douloureuses ;

Les plaines y sont blanches de l’amoncellement des cadavres nus,

— On dirait les jardins de la Mort fleuris de lugubres lys ;
Les lacs y sont devenus de grands yeux pleins de larmes
Pleurant la désolation qui règne autour d’eux ;
Les montagnes, frémissantes du crime accompli à leurs pieds,

Par des vents frénétiques clament leur épouvante aux quatre coins du monde

Et dressent, haussent, allongent leurs têtes chenues par l’espace vide,

Cherchant le Dieu qui viendra venger ces innocents…
Le monde entier, courbé sous le règne de l’Horreur,

Est attiré par cette horreur suprême, dépassant en grandeur tous les exploits du Mal ;

Le monde entier tourne là-bas ses regards terrifiés,

Et toutes les bouches s’écrient : « Tragédie sans exemple, la plus grande des tragédies ! »

Moi, je dis : Épopée, et ta plus grande des épopées !

Et, si vous ne le croyez pas, fermez les yeux un moment au spectacle de l’heure présente,