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Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/307

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quelques centaines et nous ne savons pas si on ira sur le tertre, ou si on sera fusillé ensemble. Mais tout de même on secoue la poussière de ses cheveux. J’ai déjà avoué que nous avions nous tous du 71, des coquetteries pour la mort, et en même temps cette phrase : c’est moi qui suis Gallifet ! était si drôle qu’elle nous rappelle une vieille chanson du temps des opéras de bergeries :

C’est moi qui suis Lindor, berger de ce troupeau.

Quel étrange berger, et quel étrange troupeau ! Ce premier vers, qui me revenait de je ne sais où et je ne sais comment, nous fit rire.

— Tirez dans le tas ! crie Gallifet furieux. Les soldats gorgés de sang, lassés d’abattre le regardent comme en rêve, sans bouger.

Alors épouvantés les deux commerçants se mettent à fuir çà et là, bousculant les prisonniers et les soldats pour se faire un chemin.

Tournant sa fureur contre eux, Gallifet les fait saisir, il ordonne de les fusiller, eux crient, se débattent ne voulant pas mourir ; — ils nous recommandent leurs enfants comme si devions survivre et sont tellement affolés qu’ils ne peuvent même dire leur adresse.

Nous avions beau crier : ils sont des vôtres, nous ne les connaissons pas ! ce sont des ennemis de la Commune ! l’un fut fusillé.

Non pas au poteau, mais en courant sur le tertre comme on tire des bêtes à la chasse, l’autre se tordait au poteau, ne voulant pas mourir. L’un d’eux cria : hélas ! disaient les prisonniers, moi je crus qu’il avait dit Anna et que c’était sa fille.

Au retour de Calédonie après la publication du premier volume de mes Mémoires, sa fille vint me voir, on n’avait jamais su ce que les deux frères étaient devenus.

Maintenant il y avait trois corps dans l’enfoncement