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Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/369

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au bout de six à huit mois, une réponse à chaque lettre ; il y avait un courrier tous les mois, mais ce qu’on recevait en avait trois ou quatre de date.

Et pourtant, quelle joie que l’arrivée du courrier ! On montait à la hâte la petite butte au-dessus de laquelle était la maison du vaguemestre, près de la prison, et comme un trésor on emportait les lettres.

Quand elles avaient été, au départ, en retard d’un jour, ou d’une heure, il fallait attendre au mois suivant.

Les déportés avaient fait fête à Rochefort et à nous. Pendant huit jours, on se promena dans la presqu’île comme en partie de plaisir ; il y eut ensuite, chez Rochefort, c’est-à-dire chez Grousset et Pain, où sa chambre en torchis avait été préparée, un dîner où Daoumi vint en chapeau à haute forme, ce qui donnait une touche burlesque à son profil de sauvage ; il chanta, de cette voix grêle des canaques, une chanson du pays de Lifon, avec les quarts de tons étranges, que plus tard il voulut bien me dicter.

chanson de guerre

Ka kop… très beau, très bon,
Méa moa… rouge ciel,
Méa ghi… rouge hache,
Méa iep… rouge feu,
Méa rouia… rouge sang,

Anda dio poura… salut adieu,
Matels matels kachmas… hommes braves.


Ce couplet seul m’est resté.

Il y avait à ce dîner une petite fille d’une douzaine d’années, Eugénie Piffaut, avec ses parents.

Elle avait de si grands yeux d’un bleu pareil au ciel calédonien, qu’ils éclairaient tout son visage ; elle dort au cimetière des déportés, entre un rocher de granit rose et la mer. Henri Sueren fit pour elle un monument de terre cuite que peut-être ont respecté les cyclones.