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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/200

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tu la voyais alors, je ne t’ai pas destinée ; je te l’ai présentée seulement comme une épreuve, pour voir comment tu jugerais du juste et du convenable. Ce que je te vais maintenant apporter te plaira, sois-en sûr ; c’est ta ressemblance, ton aide convenable, ton autre toi-même, ton souhait exactement selon le désir de ton cœur. » —

« Il finit ou je ne l’entendis plus, car alors ma nature terrestre accablée par sa nature céleste (sous laquelle elle s’était tenue longtemps exaltée à la hauteur de ce colloque divin et sublime), ma nature éblouie et épuisée comme quand un objet surpasse les sens, s’affaissa, et chercha la réparation du sommeil qui tomba à l’instant sur moi, appelé comme en aide par la nature, et il ferma mes yeux.

« Mes yeux il ferma, mais laissa ouverte la cellule de mon imagination, ma vue intérieure, par laquelle, ravi comme en extase, je vis, à ce qu’il me sembla, quoique dormant où j’étais, je vis la forme toujours glorieuse devant qui je m’étais tenu éveillé, laquelle, se baissant, m’ouvrit le côté gauche, y prit une côte toute chaude des esprits du cœur, et le sang de la vie coulant frais : large était la blessure, mais soudain remplie de chair et guérie.

« La forme pétrit et façonna cette côte avec ses mains ; sous ses mains créatrices se forma une créature semblable à l’homme, mais de sexe différent, si agréablement belle que ce qui semblait beau dans tout le monde semblait maintenant chétif, ou paraissait réuni en elle, contenu en elle et dans ses regards, qui depuis ce temps ont épanché dans mon cœur une douceur jusqu’alors non éprouvée ; son air inspira à toutes choses l’esprit d’amour et un amoureux délice. Elle disparut, et me laissa dans les ténèbres. Je m’éveillai pour la trouver, ou pour déplorer à jamais sa perte, et abjurer tous les autres plaisirs.

« Lorsque j’étais hors d’espoir, la voici non loin, telle que je la vis dans mon songe, ornée de ce que toute la terre ou le ciel pouvaient prodiguer pour la rendre aimable. Elle vint con-