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Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/113

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AMOUR


Oui, viens en moi ! Descends, mystérieux breuvage,
Coule dans tout mon être : en ses derniers ressorts
Va, porte mort ou vie ; à ton fatal ravage
Je me livre ; ranime ou détruis sans remords.

Si l’amour ne devait toucher ma lèvre aride.
Pourquoi Dieu creusa-t-il cette soif dans mon sein ?
Pourquoi suis-je ainsi fait de besoins et de vide ?
Pourquoi dans ma poitrine un battement sans fin ?

Ah ! pourquoi sens-je ainsi frissonner chaque fibre
Au magique pouvoir d’un regard, d’une voix ?
Sous un mot, sous un rien mon être tremble et vibre,
Comme au souffle du vent la feuille de nos bois.

Pourquoi cela ? N’aurais-je au fond de mon cœur vierge
Ces fontaines d’amour que pour les dessécher ?
Quand plus facilement qu’au désert sous la verge
Du chef d’Israël l’eau ne jaillit du rocher,

Je sens l’amour jaillir de ces sources intimes,
Pour en couper l’essor devrais-je donc m’armer ?
Dois-je pétrifier l’amour dans ses abîmes ?
Mon, Dieu me le défend. Je puis, je dois aimer.


* * *


Mais à quoi m’attacher ? Quelle seconde vie
Viendra me compléter ? Et dans quel autre cœur
Va pouvoir s’oublier ma pauvre âme assouvie ?
Dans quel embrassement me luira le bonheur ?

Un être m’a séduit. Sur sa blanche figure
Rayonnent pureté, beauté, paix et douceur.
Dans ses limpides yeux tout en passant s’épure,
Vers lui soudain s’élance éperdument mon cœur.

Il voudrait se noyer, se perdre dans cette âme.
Autour d’elle il s’enlace et par des liens tels
Qu’il défierait et ciel et terre, et vent et flamme
De jamais les briser. Il les croit immortels.