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Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/114

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AMOUR


Il aime. Du nectar Il sent l’ardente ivresse
Envahir, inonder ses plus secrets replis.
À longs, longs traits il boit cette douceur traîtresse,
En silence et les yeux de pleurs divins remplis.

Mais dans la chair soudain quel frémissement monte ?
De l’âme aux sens voici que l’ivresse a passé.
Ô terrible réveil ! La souillure et la honte,
De l’amour voilà donc le perfide tracé.

Un instant au pays des lointaines étoiles
Je m’étais vu ravir. À travers ces grands yeux
J’avais cru voir du ciel se déchirer les voiles,
Et la fange soudain m’a rappelé des deux !

Ah — qu’est-ce donc que l’homme ? ô le pauvre fils d’Ève !
L’infortuné maudit ! Le banni du bonheur !
Quoi ! Ne pouvoir aimer innocemment qu’en rêve !
Ne pouvoir laisser battre en liberté son cœur,

Sans qu’à l’instant la chair, qu’on croyait apaisée.
Ne réclame son dû ; sans qu’au front la pudeur
Par un impur Satan ne se sente baisée !
Au festin de l’amour est-ce ma part d’honneur ?

Serait-ce illusion que l’amour chaste, honnête ?
Est-ce vrai, ce qu’on dit, que l’amour d’ici-bas
Avec la courtisane a choisi sa retraite,
Que hors des mauvais lieux on ne le trouve pas ?

Non, non ! Sans doute ! L’homme à ce point de misère
N’est pas encore réduit. Mais quel objet aimer ?
Comme tout est petit, égoïste, éphémère !
Dans quel cercle étroit Dieu voulut nous enfermer ?

Survient-il, par hasard, que mon cœur entrevoie
Un être assez parfait pour apaiser sa faim ;
Mille obstacles vers lui viennent barrer ma vole,
Si je le veux, il faut paver d’or le chemin.