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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/150

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

Mais je m’arrête. Aller plus loin ce serait entrer dans les domaines de la folie. Ces trois volumes sont remplis de divagations semblables, de fureurs étourdies, de parenthèses qui ouvrent sur l’absurde. Une orthographe spéciale complète ce monument de déraison et de vanité : c’est à peine si elle s’accorde elle-même sur son nom d’Olympe de Gouges, qu’elle écrit tantôt avec un s et tantôt sans s. La critique ne s’émut guère du théâtre de l’ex-courtisane, et le plus profond silence, l’indifférence la plus parfaite accueillirent sa publication maladroite.

Il ne fallut rien moins qu’une révolution pour la mettre en lumière, elle et ses drames. Quelques jours après la prise de la Bastille, les Sociétaires du Théâtre-Français, qui étaient en quête d’une pièce d’actualité, se ressouvinrent de Zamor et Mirza, enfouie depuis cinq ans dans leurs cartons. Ils l’époussetèrent du mieux qu’ils purent et la représentèrent sous le titre de l’Esclavage des Nègres. Cet ouvrage, le premier de madame de Gouges et le plus médiocre, ne produisit aucune sensation, quoiqu’il eût été monté avec une certaine pompe. « Ce drame, dit-elle dans ses notes, doit se terminer par un ballet héroïque mêlé de sauvages ; on porte madame de Saint-Frémont en triomphe sur son palanquin : les jeunes sauvages dansent autour d’elle. Tout à coup on entend le canon et l’on voit la mer couverte de navires. Ce ballet doit peindre la découverte de l’Amérique : les sauvages effrayés interrompent leurs danses et s’en vont tous se cacher dans la forêt ; les soldats feignent de les poursuivre avec colère. Le général paraît ; il arrête par un signe la fureur des soldats, et leur fait une morale si touchante, que tous