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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/19

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LINGUET.

un bruit de ruisseau sur un lit de cailloux blancs et polis.

D’après ces motifs, que beaucoup trouveront puérils, je ne vois pas pourquoi Linguet aurait changé son nom si fin, si expressif, si approprié. Je vais même plus loin, je dis qu’il ne pouvait pas le changer sans mentir en quelque sorte à sa destinée. Une charade-épigramme lui prédisait un sort funeste, en jouant sur les deux syllabes lin et guet[1] :

Mon premier sert à pendre,
Mon second mène à pendre,
Mon tout est à pendre.

Une femme de beaucoup d’esprit, amenée à tirer l’horoscope de Beaumarchais, répondit : Il sera pendu, mais la corde cassera. Linguet, à qui la moitié seulement de cette prédiction avait été faite, eut la douleur de la voir s’accomplir, non pas à la lettre cependant.

Simon-Nicolas-Henri Linguet naquit à Reims, en juillet 1736, d’un greffier et d’une fille de procureur. Dans plusieurs occasions il s’est honoré de n’avoir jamais fait précéder son nom d’un de vaniteux et mensonger, contrairement à l’usage introduit chez les littérateurs ses confrères. En cela encore j’approuve Linguet, mais je ne saurais déprécier ceux qui, venus à une époque d’orgueil et de privilèges, ont cru devoir réparer l’injustice du hasard ; je ne reproche à aucun des poètes, philosophes, musiciens

  1. On a composé une charade analogue sur Collot d’Herbois ; l’auteur voyait dans col et lot les pronostics d’une mort violente.