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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/216

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

cette lotterie ; mais aujourd’hui que la chose est oubliée, le public, qui n’est pas toujours juste, ferait attention au sujet et perdrait peut-être de vue les accessoires. Votre réputation est faite, mais la mienne ne l’est pas encore ; et comme je n’existe que par la littérature, j’ai besoin du public jusqu’au dernier jour de ma vie. Pour capter de plus en plus sa bienveillance, il faut éviter toute démarche qui pourrait faire parler de moi moins favorablement que d’ordinaire. Si votre pièce tombe cela ne vous nuira pas, à vous, qui avez réussi dans plusieurs pièces ; mais que dirait-on de moi ! n’est-ce pas me casser le cou à l’entrée de ma carrière ? Si elle réussit, on dira : Bon, ils ont eu besoin d’être trois pour une bagatelle en un acte qui paraît encore deux mois trop tard ! et cela ferait tort, non-seulement à mes ouvrages de théâtre, mais à mes Lunes. Je vous en conjure, mon cher Favart, ne m’obligez pas à paraître dans cette affaire, qui, réellement, est trop reculée pour avoir tout le succès que nous en attendions.

« Si vous augurez bien du succès, paraissez-y seul. Qu’est-ce que cela fait ? Je comptais, en acceptant ma part de l’ouvrage, qu’il paraîtrait sous quinzaine ; je ne sais pas si M. Trial est du même avis que moi, mais, vous et lui, vous n’avez rien à risquer, puisque tout Paris connaît vos talens depuis longtemps ; et moi, qui suis novice dans la carrière des théâtres, comment pourrais-je supporter l’opinion publique qui, si nous réussissons, vous attribuera tout le mérite de l’ouvrage, et, si nous tombons, en rejettera la faute sur moi ? Mettez-vous à ma place et jugez-moi sans préventions.

« Je me purge et prends des bains tous les jours. Mes Lunes prennent maintenant tout mon tems et j’ai à peine le loisir de travailler assez pour regagner le tems perdu. Pour moi, je renonce au théâtre jusqu’à nouvel ordre. Vous voyez bien quels désagréments j’éprouve, seulement pour mes Ailes de l’Amour ; on les a jouées sans relâche par un tems superbe et par les plus grandes chaleurs, les mauvais jours et les jours de première repré-