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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/230

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

fameux autant que qui que ce soit à Paris, autant que Métra le nouvelliste, ou Volange le bouffon. C’est de moi que Rameau neveu a dit : « Ce chevalier de La Morlière, qui retape son chapeau sur son oreille, qui porte la tête au vent, qui vous regarde le passant par-dessus son épaule, qui fait battre une longue épée sur sa cuisse et qui semble adresser un défi à tout venant… » Le neveu de Rameau a ajouté d’autres choses encore, mais ce sont des impertinences que j’ai oubliées et contre lesquelles je vous engage à vous tenir en garde.

Hélas ! monsieur, je sais que ma mémoire a dû vous arriver passablement chargée par mes contemporains. J’ai été trop de mon temps ; voilà ma plus grande faute. Dans le fond, je valais autant qu’un autre ; mais, vous savez, on a parfois besoin de personnifier dans un seul homme tous les défauts et tous les vices d’une époque. J’ai été cet homme ; on m’a pris comme on aurait pris le premier venu ; depuis lors, j’ai été pour tout le monde et même pour le neveu de Rameau (ô comble du comique !) : cet effronté de chevalier de La Morlière, ce libertin de chevalier de La Morlière, cet impudent, ce réprouvé, — et le reste, oui, monsieur, le reste !

Cependant, je ne veux pas me faire meilleur que je ne l’ai été, et, bien que le vent soit aujourd’hui aux réhabilitations, croyez que je ne tiens pas à être réhabilité. Je me donne pour ce que je suis, c’est-à-dire pour un homme d’aventures, pour un chevalier de fortune ; je vous abandonne mes mœurs, peut-être trop indépendantes, mais ce que je défends avant tout, c’est ma littérature, ce sont mes livres, — ou plutôt c’est mon livre.