Aller au contenu

Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

Laissez-moi, pendant quelques instants, remonter le courant de mes années orageuses. Une dernière fois je veux rentrer dans cette vie où j’ai si longtemps et si diversement tenu ma place. Soyez tranquille, mes mémoires seront moins longs que ceux de mes créanciers, car j’ai l’haleine courte, bien que j’aie beaucoup produit ; et je ne compose qu’à petits coups. Vous m’excuserez si quelquefois les opinions philosophiques et le cynisme du temps où j’ai vécu viennent à percer dans mon récit ; — les hommes, pas plus que les choses, ne peuvent mentir à leur date. Pourtant, si à de certains endroits de mon histoire restés jusqu’alors inconnus ; si à de certains souvenirs du cœur, la note frivole du dix-huitième siècle se brise sous mes doigts tremblants, et que vous ne reconnaissiez plus le chevalier de La Morlière, songez que cette lettre est écrite du tombeau ; cela vous aidera à comprendre bien des dissonances.

II

MA JEUNESSE

Je suis né avec le dix-huitième siècle, et je suis mort en même temps que lui. C’est une période de plus de quatre-vingts ans que j’ai parcourue.

Les Rochette de La Morlière, de qui je suis issu, habitaient Grenoble ; je ne m’appesantirai pas sur leur noblesse, que l’on a cherché à rendre incertaine. Plusieurs ont prétendu que La Morlière était le nom d’une terre, et que je ne devais mon titre de chevalier qu’à la décoration de l’ordre du Christ, décoration qui me fut gracieusement octroyée par Sa Ma-