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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/273

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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

Cependant, autrefois, on me renommait parmi les amateurs du biribi, du pharaon, du trente-et-quarante ; au Palais-Royal, maintes fois, j’avais fait la partie du comte de Genlis, et j’avais taillé chez l’ambassadeur de Venise ; — une nuit même, il m’arriva d’y gagner sept cents louis ; il est vrai que, le lendemain, j’en reperdis neuf cents dans une sorte de souterrain que le comte de Modène avait loué au Luxembourg, et où trois à quatre cents hommes de toutes conditions se pressaient en tumulte autour de plusieurs grandes tables de jeu. Au fait, vous m’eussiez trouvé incomplet, avouez-le, monsieur, si vous ne m’aviez point trouvé un peu joueur. Depuis quelques années, malheureusement, ma mauvaise fortune m’avait forcé de me rabattre sur des tripots de moindre étage, tels que ceux de la Lionnette, de la Dusaillant et de la Lacour, véritables coupe-gorges autorisés par le lieutenant de police.

Un des plus misérables était celui vers lequel je me dirigeai. Il était situé rue du Chaume, et, comme tous les endroits de ce genre, il était tenu par une femme, la Cardonne, née d’une blanchisseuse aux casernes et d’un laquais du premier président d’Aligre. La compagnie était ordinairement composée de militaires, de provinciaux, d’espions et de gentilshommes de ma trempe ; ajoutez-y quelques jeunes filles galantes dont la mission était de couper et de verser à boire.

Lorsque j’entrai, il y avait trois tables en train : une de passe-dix, une de belle et une troisième de bouillotte. Je m’approchai : on jouait trop gros jeu pour moi, et je dus attendre qu’il se formât une quatrième table. Soucieux, j’allai m’asseoir sur une des banquettes qui garnissaient la salle.