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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/292

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

trayants et vivants, tels que celui de ce jeune auteur, en qui je ne suis pas éloigné de reconnaître Gorjy lui-même :

« Un jour que je sortais de chez M. A***, ayant sous mon bras un assez gros paquet de manuscrits, je rencontrai, au bas de l’escalier, un jeune homme mis simplement, même avec une certaine mesquinerie, mais dont il diminuait l’effet par le peu d’attention qu’il paraissait y faire ; car l’air humilié de l’homme mal vêtu double le tort de ses habits. Il était auteur comme M. A***, et habitait dans la même maison ; mais ils ne se ressemblaient qu’en cela. L’un logeait au premier étage , l’autre au quatrième. M. A*** avait un appartement superbe : grand feu l’hiver, des persiennes l’été, enfin, toutes les commodités de la vie. Le logement du jeune homme se bornait à une petite chambre dans laquelle il avait toujours pour compagnon l’un des trente-deux vents ; une pile de brochures, entassées sans ordre, parodiait la superbe bibliothèque de M. A*** ; et pour parodier aussi son grand laquais, le jeune homme avait, suivant son expression, un jockey à deux sous par jour. C’était un Savoyard qui, moyennant cette mince rétribution, venait tous les matins prendre ses ordres plus ponctuellement qu’un coureur ou un chasseur. Mais si, dans tout ce que donne la fortune, l’avantage était du côté de M. A***, le jeune homme le regagnait bien sur le reste : une véritable insouciance philosophique, au lieu du tracas continuel des cabales, une liberté entière dans ses actions comme dans ses écrits ; un cœur excellent sans affiche de bienfaisance ; par conséquent, point de prôneurs, mais point de détracteurs. Enfin, M. A***,