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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/320

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OUBLIÉS ET LES DÉDAIGNÉS.

vous voyez ; vous pouvez remarquer que j’y ai réuni tout ce qui peut flatter agréablement la vue. Je n’ai point oublié non plus les autres sens : ces fleurs attachées en guirlandes exhalent des parfums exquis ; sous l’estrade est un jeu de serinette monté pour des airs fort joyeux, comme celui-ci : Ma commère, quand je danse ; ou cet autre : Adieu donc, dame Françoise ; ou bien celui-là : Bonsoir, la compagnie, bonsoir. J’oubliais de vous faire remarquer que l’on sera porté sur l’estrade par un fauteuil mécanique, afin d’épargner au patient la peine même de marcher, car les plus grands forfaits méritent tous les égards imaginables. Arrivé ici, l’acteur, se placera entre les deux colonnes ; on le priera d’appuyer l’oreille sur ce stylobate, sous le prétexte qu’il entendra beaucoup mieux les sons délicieux que rendra le jeu de serinette ; et, au moment le plus capable de le ravir en extase, une détente fera tomber la hache, et la tête sera si subtilement tranchée qu’elle-même longtemps doutera qu’elle le soit. Il faudra, pour l’en convaincre, les applaudissements dont retentira nécessairement la place publique. Observez bien, mes chers frères, avec quel soin scrupuleux j’ai porté la recherche dans les moindres détails : cette hache, je l’ai faite de grenat, afin que le sang ne parût pas, et qu’il n’y eût absolument rien qui sentît la mort dans cette manière de faire mourir. Ainsi le supplice, qui ne sera qu’un jeu pour celui qui le subira, deviendra en même temps un spectacle intéressant pour ceux qui y assisteront ; j’aurai rendu à la classe trop sensible un spectacle dont elle était obligée de se priver, et les patients pourront compter désormais sur la bonne compagnie. »